Toute cette histoire de sôseiji allait le rendre complètement fou. Il n'en pouvait plus de se prendre la tête avec ça. C'était comme si cela le hantait, jours et nuits, depuis sa rencontre avec ce fameux Hiro. Il ressentait tellement de choses en lui, bonnes, mauvaises, qu'il en perdait totalement les pédales. Est-ce qu'ils étaient vraiment reliés ? Est-ce que c'était lui son jumeau ? Ou bien à force de tellement y songer, avait-il fini par s'imaginer des choses tout seul ? C'était à ne plus rien n'y comprendre et même lorsque le blondinet se battait avec ses « amis » pour se détendre et tenter de faire abstraction à tout cela, ça ne fonctionnait qu'à peine. Il devait se changer les idées et pas qu'à moitié.

Allongé sur son lit, les yeux perdus sur son plafond à regarder son lustre, vulgaire boule en papier blanc, se balancer doucement, il lâcha un profond soupir avant de s'asseoir et de passer une main dans ses cheveux en bataille. Qu'allait-il bien pouvoir faire de cette journée libre qui s'annonçait ? Certainement pas rester chez lui en tout cas, ce n'était pas dans ses habitudes que de flâner ici sans rien faire. L'extérieur l'appelait, il avait l'impression d'étouffer à rester ici. Ses pensées finiraient par le submerger et il aurait droit à s'y plonger encore, encore et encore des heures et des heures durant... ce dont il n'était absolument pas certain d'avoir envie. Alors il allait bouger et sortir.

Une fois lavé, habillé et coiffé, il verrouilla la porte de son appartement et sortit de sa résidence, marchant dans les rues sans aucun but précis. Il regardait à droite, à gauche, toutes les boutiques et les restaurants qui s'étendaient çà et là, de part et d'autre du paysage qui s'offrait à lui. On ne le remarquait pas, il passait inaperçu aux yeux de tous et cet étrange sentiment de solitude, contrairement à d'habitude, lui fit perdre pied. Il lui manquait quelque chose, il ignorait quoi, mais il sentait que dans son cœur il y avait une pièce maîtresse qui avait glissée. Depuis quand ? Cela aussi il n'en avait pas la moindre idée.

Au détour d'un passage piéton, il aperçut un peu plus loin ce qui ressemblait vaguement à une fête foraine. Il haussa un sourcil puis les épaules... Pourquoi pas ? Il n'avait pas d'argent à dépenser pour cela, préférant largement le dépenser dans des soirées bien arrosées, mais il n'avait rien y perdre à y aller faire un tour, n'est-ce pas ? Juste histoire de se changer les idées et de ne pas penser à tout ce qui le tracassait en ce moment. Il espérait secrètement qu'il avait eu une bonne idée, car une légère appréhension vivait actuellement en lui. Hiro n'était pas là-bas, il le ressentait, alors il devrait se détendre et profiter un peu ; s'amuser différemment qu'en se bagarrant ou en appréciant une partie de jambes en l'air.

Ses pas le conduisirent donc jusqu'à la fête foraine. Son mental en prit un petit coup, se revoyant quelques années plus tôt dans son enfance. Les évènements entre temps avaient voulus que les choses changent et que son regard soit différent, mais ses souvenirs de bonheur quand il faisait tel ou tel manège ou qu'il mangeait une sucrerie ne s'étaient pas égarés. Juste s'étaient-ils mis de côté, en réserve probablement...

Aki s'engagea dans une allée au hasard, les mains dans les poches, ses yeux vagabondant de stands en stands et de manèges en manèges. Tout sentait vraiment bon et avait l'air amusant... Depuis quand est-ce qu'il n'avait pas fait de choses « normales »... ? La nuit était certes magnifique et assez intéressante du point de vue des rencontres, mais là cette journée avait un petit plus beaucoup plus attirant. Cela était pourtant assez simple, mais depuis que l'intérimaire avait atterri sur cette île, il avait complètement l'impression d'avoir perdu tout sens d'humanité. Ce qui résumait sa vie désormais ? Sortir faire la fête, s'envoyer en l'air avec le premier jeune homme qui lui tapait dans l’œil, bosser le lendemain matin la tête dans le pâté et puis recommencer.

Mais il n'était pas là pour faire le compte rendu de sa misérable vie, il était là pour justement passer à autre chose, même durant une heure ou deux. Il en avait un peu besoin et rien que le fait de voir des personnes s'amuser autour de lui lui conférait une sorte de bien-être, très apaisant. Quelques mètres passés, il se fit accoster d'une drôle de manière. Hikaru... ? Il regarda la jeune femme d'un air interloqué, complètement à l'ouest en l'entendant parler. Si vous faîtes semblant de me connaître, je vous offre une barbe à papa, étrange offre que voilà... Aki se contenta simplement de hausser les épaules et de reprendre sa route. L'invitant plus ou moins d'un bref geste de la main à le suivre.

« Besoin de fuir des gens hein, lui dit-il en la soupçonnant juste à côté de lui, donne leur au moins mon vrai prénom, poursuivit-il en soupirant, j'suis Aki. »

Il n'avait pas fait ça pour la récompense promis, mais simplement pour l'aider. Aki avait beau être un petit blond qui ne se laissait jamais faire, il n'était, au fond, pas si méchant ou sans cœur qu'il souhaitait le montrer. Et puis cette rencontre avait quelque chose de cocasse. Cette jeune femme souhaitait s'échapper de ses amies (ainsi les voyait-il) tandis qu'il voulait courir loin de ses songes. Deux situations un peu différente pour une solution commune : l'échappatoire.

« Et garde ton argent. » ajouta-t-il.

C'était la première fois qu'il se faisait accoster de cette manière, et il en était plutôt décontenancé, mais, au fond, cela l'amusait un peu. La jeune femme à ses côtés ne manquait absolument pas de culot pour se l'être attribué comme ami alors qu'ils ne se connaissaient ni d'Adam ni d’Ève. Elle semblait avoir un caractère bien trempé malgré sa petite taille. Au final, ils étaient un peu semblables à ce niveau-là ; ils ne se laissaient pas faire même s'ils n'était pas bien grand. Se faire marcher sur les pieds n'était pas quelque chose de concevable pour Aki. Il était plutôt un fonceur qui savait mener sa barque sans personne autour. Quoi qu'il en soit, il n'avait pas prononcé d'autres mots depuis qu'il avait décliné son identité. Son interlocutrice, elle, débitait parole sur parole et elle paraissait plutôt agacé de se retrouver à la fête foraine.

« Oui, répondit-il finalement, je suis tout seul. »

Mais il n'ajouta rien de plus, car il ne savait pas réellement quelle raison l'avait poussé à se perdre en ces lieux. Il n'avait pas vraiment choisi, cependant, ça ne lui déplaisait pas non plus. Toute cette foule ça ne le gênait pas, lui, parce que, dans un sens, ça le rassurait. Les attractions battant leur plein, les gens discutant entre eux, d'autres criant dans les manèges ; tout ce bruit lui faisait oublier pour l'espace de quelques minutes tous ses ennuis et toutes ses pensées. En revanche, la jeune femme près de lui n'avait pas tort en ce qui concernait la dernière partie de ses paroles. Enfermés sur cette île, qu'espérait-on en tentant de les distraire avec cette fête foraine ? Peut-être souhaitait-on qu'ils s'y sentent plus à l'aise, comme s'ils étaient chez eux. Sauf qu'ils ne l'étaient pas, et ne le seraient probablement jamais dans de telles conditions.

Leurs pas les conduisirent jusqu'à un marchand de barbes à papa où la demoiselle acheta, comme elle l'avait dit, une de ses sucreries pour Akihiro. Ce dernier se retrouva avec ça dans les mains et ne sut quoi faire à part avoir un haussement de sourcil à ses nouveaux mots. Il n'avait pas dit qu'elle pouvait garder son argent, car il pensait qu'elle n'avait pas énormément d'argent, non, c'était surtout parce qu'il n'avait pas spécialement envie de manger cette barbe à papa. Une manière polie pour décliner cette proposition, en somme. Mais apparemment, elle l'avait comprise différemment et maintenant le blondinet n'avait plus d'autres choix que de manger ce qu'on lui avait offert.

« Tu parles trop, lui déclara-t-il en un soupir. Et tu ne m'as toujours pas dit ton nom, » ajouta-t-il en prenant un peu de ce nuage rose qui se trouvait autour d'un bout de bois.

Il n'était pas du genre à parler énormément à qui que ce soit. En vérité, lorsqu'on lui demandait pourquoi il était si silencieux, il répondait qu'il ne parlait que quand il avait quelque chose à dire. En y réfléchissant quelques instants, ce raisonnement se tenait parfaitement. Il était plutôt du genre à observer tout ce qui arrivait autour de lui et à agir en conséquence sans trop se poser de questions. Un coup de poing bien placé et une bagarre se déclenchait pour son plus grand plaisir.

« Qu'est-ce que tu faisais avec ces filles si tu ne les apprécies pas ? »

C'était tellement plus facile de leur dire leur quatre vérités (en ajoutant un petit coup par-ci, par-là bien sûr) que de les fuir pour les ravoir collées à soi quelques jours plus tard. Au moins elles auraient compris que la jeune femme ne souhaitait pas avoir affaire avec elles, et elles ne seraient certainement pas revenues la trouver. Quoiqu'il en soit, ce n'était que son opinion et il n'avait que faire des ennuis des autres. Les siens lui suffisant déjà bien assez.

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